DEUX POÈMES D’EINO LEINO

Eino Leino (1878-1926) est quelque chose comme une figure nationale finlandaise, au titre de son rôle actif dans le grand mouvement culturel et artistique dit du « romantisme national », qui a prôné l’indépendance politique de ce qui était alors un duché russe dans le même mouvement où il réalisait cette indépendance dans les arts. Leino a prouvé à ceux qui en doutaient que la langue finnoise pouvait se fondre dans les structures formelles de la poésie européenne de son époque, qu’elle pouvait être à la fois littéraire et moderne, plonger ses racines dans un héritage culturel et dépasser le folklorisme. Leino inaugure ce que seront les poètes finlandais·e·s modernistes du 20e siècle : des intellectuel·le·s qui proposeront chacun·e des dépassements singuliers de la tension entre leur culture d’origine et le rêve d’une Europe des lettres. Chez Leino c’est encore à travers la figure du poète romantique « voyant » que cette synthèse se fait. Plutôt que chercher à traduire son usage désormais classique des formes versifiées par un faux équivalent de l’époque, je me concentre ici sur les images et les sensations qui l’habitent.


RAUHA

Mitä on nää tuoksut mun ympärilläin?
Mitä on tämä hiljaisuus?
Mitä tietävi rauha mun sydämessäin,
tää suuri ja outo ja uus?

Minä kuulen, kuink’ kukkaset kasvavat
ja metsässä puhuvat puut.
Minä luulen, nyt kypsyvät unelmat
ja toivot ja tou’ot muut.

Kaikk’ on niin hiljaa mun ympärilläin,
kaikk’ on niin hellää ja hyvää.
Kukat suuret mun aukeevat sydämessäin
ja tuoksuvat rauhaa syvää.

Eino Leino, Sata ja yksi laulua, 1898

PAIX

Que sont ces odeurs autour de moi ?
Qu’est ce silence ?
Que laisse présager la paix dans mon cœur,
cette chose grande, et étrange, et nouvelle ?

J’entends pousser les fleurs
et parler les arbres dans la forêt.
Je crois que maintenant mûrissent les rêves,
et les autres espoirs, et les autres germes aussi.

Tout est tellement silencieux autour de moi,
tout est tellement doux et bon.
De grandes fleurs s’ouvrent dans mon cœur
et exhalent une paix profonde.

Cent et une chansons, 1898


NOCTURNE

Ruislinnun laulu korvissani,
tähkäpäiden päällä täysi kuu;
kesä-yön on onni omanani,
kaskisavuun laaksot verhouu.
En ma iloitse, en sure, huokaa;
mutta metsän tummuus mulle tuokaa,
puunto pilven, johon päivä hukkuu,
siinto vaaran tuulisen, mi nukkuu,
tuoksut vanamon ja varjot veen;
niistä sydämeni laulun teen.

Sulle laulan neiti, kesäheinä,
sydämeni suuri hiljaisuus,
uskontoni, soipa säveleinä,
tammenlehvä-seppel vehryt, uus.
En ma enää aja virvatulta,
onpa kädessäni onnen kulta;
pienentyy mun ympär’ elon piiri;
aika seisoo, nukkuu tuuliviiri;
edessäni hämäräinen tie
tuntemattomahan tupaan vie.

Eino Leino, Talviyö, 1905

NOCTURNE

Le chant de la caille dans mon oreille,
au-dessus des épis la pleine lune,
en moi l’extase de la nuit d’été.
La brume des brûlis voile la vallée.
Je suis sans joie, sans chagrin – sans soupir.
Mais qu’on m’apporte la ténèbre des forêts,
le rougeoiement de ce nuage où le jour se noie,
l’horizon du mont venteux qui dort,
les odeurs de la linnée, les obscurités de l’eau…
et j’en composerai le chant de mon cœur.

C’est pour toi que je chante, damoiselle, herbe d’été,
toi le grand silence de mon cœur,
toi ma foi, fais-toi musique,
couronne de feuilles de chêne, verte et neuve.
Je ne chasserai plus les feux follets,
car j’ai l’or de l’extase dans le creux de ma main –
le cercle de la vie se resserre sur moi –
le temps s’arrête, la girouette dort –
devant moi un chemin dans la pénombre
m’emmène vers une maison inconnue.

Nuit d’hiver, 1905

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