C’est un quart d’heure qui a duré un siècle donc une vie au moins
Une courte éternité dans cette entaille de rue où je ne me suis pas perdu
Je monte vers les collines parce que l’heure est au plaisir et c’est là que nous
nous retrouvons là où il y a encore des tables des chaises et des musiciens
Sur mon vélo j’ai couru sans m’attarder les lignes courbes et je me retrouve dans
le silence laissé par les écoles vides à la fin du jour
dans le quartier où vécurent nos parents [ Curial-Cambrai la grise [ près des rails et des friches [ la forteresse qui s’est appelée *Soleil ou *Beau-Séjour
.Un quartier. presque dit-on dans les agences ..un village.. pour ceux qui voudraient
être villageois quoique les platanes n’aient pas
d’odeur sinon parfois celle de quelque chose qui brûle
Et moi je crois que je me promène que je peux me promener
Il y a ce qu’il faut et pas plus là-dessus dessous les supermarchés qui nourrissent
les supermarchés d’hommes les grands frigos là-haut dressés –
(La métaphore est très mauvaise je ne vais pas la filer)
Me double ‘qui nargue un camion aveugle’ un jumeau quelqu’un qui me ressemble
pressé-puissant sur une machine comme la mienne à chaîne la sienne rouillée
Je ne m’arrête pas J’ai dépassé après le restaurant d’Afriques la boutique de beauté
à l’ongle rose
où attendait une triade de prostituées chinoises qui plus tard sa divine cosmétique réglée
descendra à Belle-ville dans la vallée des commerces aux ateliers condamnés
J’avais oublié que si vite s’épancherait l’avenue de Flandre presque piétonne l’air de
rien celle qui remontant jadis les routes lucratives des marchands du Brabant
\ et déclinant à genoux sans gémir vers Compostelle \
fut autrefois la ligne blanche où s’adossait un monde qui nous a enfantés
_Là-dedans sans effort je glisse
On vend du pain de la viande hallal~cachère des téléphones et des assurances
Et justement voilà l’église de Jacques le missionnaire supplicié d’Espagne
triste temple dont le passant se contrefout imité sans imagination pour ceux
qui manquaient d’images et d’imitations
gardien apostolique du ,canal de l’empereur, qui devait abreuver Paris
et où s’abreuve les soirs d’été la jeunesse qui a soif
Derrière et sans-écluse le petit pont très-blanc et qui semble sorti de la
boîte d’un collectionneur voit passer cette jeunesse dont je parle ] dont la vraie vie n’est pas sur la carte
anémone bleue amoureuse sans doute et rieuse absolument mais je ne veux pas dire …belle… cela ne voudrait rien dire
plongeant de fines mains muettes dans ses sacs
dégriffés comme elle pour le meilleur peut-être
(La promenade du soir n’en est plus une
La carte ne dit pas ces choses mais
c’est ici que s’arrête la piste cyclable)
La ville fuselée en rues étroites est jeune et vieille à la fois
En face de l’hôtel ignorant de son tourisme dans les cafés
; dépouillé de son bleu ;
un chauve s’installe avec ses amis que l’on voudrait fidèles
et un autre sirote en partance la main sur sa valise
l’un et l’autre chauve-sans-âge dans l’apparence fixe du cyclope
On vend encore des ongles et des téléphones
Dans quelle rue du monde tant de téléphones sont-ils vendus
tandis que dans la rue voisine hier un autre fut m’a-t-on dit arraché
Ce sont des conversations à venir que l’on négocie
} Bordé de fleurs nouvelles il y a un chantier où plus rien à cette heure ne se passe
et où plus personne ne va jamais habiter
Mais je reconnais ici la rue où murmure le verbe ancien des *Loubavitch
C’est ici que des jeunes juifs et des jeunes arabes se sont frappés jusqu’à la mort
très loindu métro Jourdain
Le soir est si beau
La rue désormais une pente // dans l’axe qui m’éprouve forcément
Plus bas était dressé le gibet de Montfaucon mais on a construit plus grand depuis
Là où débouchent les bus qui carillonnent s’ouvre le gouffre des Buttes-Chaumont
où courent encore sous un pont les rails noirs de la _petite ceinture qui ne claque plus
La carrière de gypse / dite joliment à ciel ouvert / est verte et grosse désormais
consacrée ,jardin des plaisirs, par un autre empereur médaillé de visions glorieuses
pour son peuple
Sachez qu’avec le sol de ce jardin on a construit plus loin Paris
non sans faire ici aussi fleurir un peu la pierre de taille en façades
entre les briques qui vous racontent ce que fut le bourg ancien et le béton des prophètes et des papes nouveaux de la ville
Bucoliquement sur le tertre la terre a été retournée puisque c’est
la précaution d’usage si l’on veut un printemps
Mais je ne sens pas ici non plus d’odeur ¿ pas même le gazon coupé ¿
C’est sans doute que la montée devient rude et mon front est ruisselant
Le soleil se couche derrière mon oreille droite
mais je ne reprends pas mon souffle que j’ai donné et ne m’appartiens plus
J’atteins sans force la borne du héros Botzaris à la moustache reniflée de sang
Partout les flancs de la colline domptée verdissent
Ils cachent des villas des pavillons
D’ailleurs les familles sont nombreuses à converger ici
Beaucoup hommes je les reconnais serviteurs d’ ¡Asmodée¡
affreux joueurs de la vie des autres / cravatés le jour et l’esprit léger la nuit
mais on ne leur reprochera pas leurs enfants
ni leurs dettes calculées en banques
Il n’y a plus beaucoup à monter
mais les cyclistes chamarrés de rouge or bleu se sont déjà arrêtés plus bas
Je suis trempé et voilà que dans un coup de théâtre
le jumeau qui m’avait dépassé <naguère redescend en un sifflement fin
plus léger’’ encore est-ce possible qu’à l’aller
un sourire blanc comme l’encoche dans un fruit en travers de son visage noir
(Son visage est noir aviez-vous besoin
que je vous le dise tout à l’heure vous me dites que ça a son importance)
Enfin je touche sans le sentir au but et incertaine s’ouvre à demi la place des Fêtes
[ Les enfants jouent dans le béton et les fontaines [ éteintes sont pour eux des monuments sans vergogne
Les tours sont grandes dans le ciel mais moins grandes je n’oublie pas
que les galaxies et les planètes que trouvent pendant ce temps nos télescopes
moins grandes que la comète avec laquelle danse là-haut une sonde héroïque
moins grandes que les organes fabriqués par des imprimantes 3d
que l’on a réussi à faire vivre dans le corps d’un être humain
Ce ne sont pas les astres ni la science ici mais leur faubourg la vie
Elle bat d’un pied qui festoie quand dort le commissariat
. Il n’y a pas d’inquiétudes pas encore .
La nuit s’étire doucement au rythme des voitures qui ont un âge rassurant (le mien)
On ne sent pas la fumée portée par le versant mauvais du vent>
et qui est cause que l’Est fut donné aux ouvriers par les spéculateurs
Est-ce l’aqueduc ancien celui dont point le regard pierreux qui fait ainsi résonner la terre sous mes orteils qui enfin la touchent_
Au cœur d’une ville et aux portes d’une autre
mon périple n’a pas de fin
Je n’irai pas aux bains-douches
prétendre que je voudrais être lavé
Je n’irai pas voir les spectacles
du trottoir ou du zinc
ni entendre les Commentaires
Je vais redescendre
fermer en cercle la flèche de cette rue
sans avoir rien appris
des mutations de ce monde
qui est toujours le même